On se souvient encore de l'idée saugrenue (du moins à l'époque...) émise en catimini il y a quelques mois par un quelconque commissaire européen qui souhaitait que
les budgets nationaux soient envoyés d'abord à Bruxelles pour recevoir le visa (le fameux "lu et approuvé, bon pour accord" d'un vulgaire bon à tirer)
de la Commission avant qu'ils ne soient transmis aux parlements nationaux pour adoption (on se demande bien pourquoi d'ailleurs transiger avec la médiocrité démocratique et prévoir une telle ratification là ou l'adoubement des technocrates européens devrait suffire)…
Les parlementaires français n'avaient eu de cesse de se répandre dans les couloirs de l'Assemblée Nationale ou du Sénat pour dire haut et fort que la souveraineté de la France ne serait pas soumise à la supranationalité européenne, blabla blabla blabla…
Plus récemment, le projet de renforcement et de durcissement du Pacte de stabilité et de croissance a absorbé cette "géniale" idée, la Chancelière Merkel en approuvant le principe (je lui souhaite bien du plaisir si elle imagine pouvoir faire avaler cette couleuvre à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe) pendant que le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt, dont le pays n'a pas adopté l'euro, s'est dit "opposé" à ce projet.
Bref l'harmonie règne sur le sujet et il était important que nos représentants donnent un signal fort ; il le fut…
Que constate-t-on
en France le 7 décembre 2010 lors du scrutin public sur la proposition de loi constitutionnelle n° 2983 ainsi libellée :
Article unique
Modification de la Constitution afin de prévoir qu'« en matière budgétaire, le Parlement reste souverain » et que « les institutions européennes ne pourront se prononcer qu'après la délibération des assemblées parlementaires ».Sur les 433 suffrages exprimés, seuls 23 députés ont osé approuvé ce texte "sulfureux" : sur un texte aussi simple dans son énoncé et aussi essentiel dans son enjeu, ce sont
moins de 4% des 577 représentants nationaux qui en ont approuvé le principe ! 4%...- 250 UMP sur 314 votent contre (et, parmi eux, j'ai le profond regret de le signaler tous les députés villepinistes)
- 138 députés socialistes sur 204 votent contre (seul Henri Emmanuelli, Landes - 3ème, votant pour)
- 19 députés Nouveau Centre sur 25 votent contre
- 3 députés non-inscrits sur 8 votent contre (dont, hélas, Daniel Garrigue et François Bayrou)
- Seuls 22 députés Gauche Démocratique et Républicaine sur 26 (ex groupe Communiste du temps de la splendeur du parti de la Place du Colonel Fabien et qui a dû s'allier avec la poignée d'élus "vert" pour parvenir à franchir la barre des 20 députés et créer un groupe autonome à l'Assemblée Nationale) votaient pour pendant que leurs collègues "vert" (4 élus dont Noel Mamère) s'abstenaient courageusement sur le texte.
Car cette proposition avait sans doute le péché originel d'avoir été concoctée par Mmes Martine Billard (Paris 1ère), Jacqueline Fraysse (Hauts-de-Seine, 4ème) et MM. Marc Dolez (Nord,17ème), Jacques Desallangre (Aisne 4ème), Roland Muzeau (Hauts-de-Seine, 1ère) et Jean-Claude Sandrier (Cher, 2ème) tous membres du PC ou du Parti de Gauche de Mélenchon.
Mais
la défense de la souveraineté de la nation ne mérite-t-elle pas cette union sacrée sur laquelle nous devons pouvoir compter dans les moments cruciaux ?
En quoi le libellé de cet article unique pouvait ne pas s'affranchir de ces a priori stupides et mortifères pour notre pays ?
Doit-on supposer, navrés, que si cette proposition avait été déposée dans les mêmes termes par des membres du groupe UMP elle aurait été adoptée sans coup férir ? Et que si le groupe Socialiste en avait été à l'origine elle aurait sans doute été repoussée mais avec les honneurs de plusieurs centaines d'approbation ?
Alors même que les différentes états membres font connaître leur sentiment sur ce nième coup de canif aux souverainetés nationales,
comment sera pris ce "geste fort" de la représentation nationale française par nos partenaires européens et par la technocratique et néolibérale Commission Barroso ?
J'observe par ailleurs que la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République a motivé sa décision en s'appuyant sur l'article 88-1 de notre loi fondamentale qui stipule que si "
La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. ", la Commission des loi constitutionnelles indiquant que "
Cette rédaction, qui rend possible les transferts de compétence prévus par le traité de Lisbonne ou par les traités antérieurs, n’autorise pas les éventuels transferts de compétences ultérieurs qui porteraient atteinte aux conditions essentielles d’exercice de notre souveraineté".
Aucun risque de "dérapage" de souveraineté budgétaire donc d'après la Commission des lois constitutionnelles qui a rejeté cet article unique, et donc la proposition de loi...
Dont acte, mais alors pourquoi préciser à la fin de son rapport que : "
Il est donc proposé de compléter l’article 88-2 de la Constitution, qui est l’un des articles du titre XV de la Constitution, consacré à l’Union européenne, afin d’introduire deux exceptions aux transferts de compétence autorisés par le Constituant au profit de l’Union européenne :
― l’affirmation de la souveraineté du Parlement français en matière budgétaire, conformément à l’article 47 de la Constitution et à l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, cette souveraineté ne pouvant souffrir aucune exception ;
― l’exigence d’une délibération du Parlement français préalable à toute prise de position des institutions européennes sur des questions relevant du budget national."
Où est la cohérence ?L'Assemblée Nationale a été affligeante et toutes celles et tous ceux qui ont rejeté ce texte devraient être convaincus d'
atteinte à la souveraineté de l'Etat !