Droite / gauche : une distinction illisible !

Il est tout de même curieux de constater à quel point les vieux réflexes d'appartenance, de reconnaissance politique, continuent de jouer un rôle si clivant dans notre démocratie alors même qu'ils sont vidés de leur substance.

Historiquement les valeurs de droite étaient attachées à l'ordre de la société, à la rigueur de la gestion, à l'orthodoxie financière et au conservatisme bon teint des situations acquises ; la gauche quant à elle, capitalisait sur la générosité, les avancées sociales, le mouvement et l'ouverture sur le monde.

Le gaullisme avait déjà enfoncé un coin dans cette distinction en prônant la poursuite d'une troisième voie médiane entre le capitalisme débridé, fondé sur une conception par trop individualiste et purement mercantile de la société ("La droite trahit la nation") et le collectivisme internationaliste bafouant les droits inaliénables de la souveraineté et des individus ("La gauche trahit l'Etat"). Ce qui explique aussi pourquoi, l'hypothèque des scories de la décolonisation et des institutions ayant été levée, la classe politique n'eut de cesse de se débarrasser de l'homme d'Etat gêneur et de le renvoyer à Colombey ! Ce qui explique aussi pourquoi celles et ceux qui se réclamaient de la pensée et des actes de l'homme du 18 juin s'en éloignèrent plutôt rapidement : le courage, l'audace et l'éthique républicaine des comportements pouvaient être remplacés par la gestion paterne des petites tambouilles et de cette différenciation momifiée…

Car la crise ouverte depuis le milieu des années 70 a complètement ruinée les fondements historiques de notre duo infernal : la gauche fut celle du "franc fort", de l'adoption des canons ultralibéraux (loi bancaire de 1993, stock-options et autres outils financiers apatrides), du traité de Maastricht, porteur de la monnaie unique et des éléments d'une financiarisation du système imposée et des privatisations à la hussarde ; la droite laissa filer les déficits publics, abandonna des pans entiers de souveraineté, adopta le traité de Lisbonne et ne fut cependant pas avare d'avancées sociales.

Notre marigot politique est désormais alimenté aussi par des facteurs exogènes : la mondialisation, le brassage culturel, les avancées de l'Union européenne. Les lignes de fracture dépassent largement les vieilles chapelles ! Tel homme de gauche sera réputé pour la fermeté de ses positions en matière de sécurité publique quand telle femme de droite se fera l'avocate d'une Europe fédérale ; telle femme de gauche sera une fervente supportrice d'une gestion rigoureuse des finances de l'Etat lorsque tel homme de droite prendra fait et cause pour le maintien d'une protection sociale conséquente : le pragmatisme a gagné ce que la visibilité idéologique a perdu. Les fractures politiques hexagonales n'ont pas su intégrer ce flux provenant de l'extérieur.

Cependant, chaque consultation voit nos représentants, sans désemparer, se réfugier dans les discours et postures attendus ; ils seront démentis par leurs actes dès leur accession au pouvoir mais ils poursuivent tout de même cette quête illusoire de divisions sémantiques surannées. Et la citoyenne et le citoyen en perdent au fil de l'eau leurs derniers repères et la nécessaire confiance s'effiloche entre représentés et représentants…

L'actuel locataire de l'Elysée a donc décidé de renouer avec cette vieille lune et adopte une attitude très réactionnaire (au sens retour en arrière du terme) en plaçant la sécurité au cœur de sa campagne, ce qui est assez farce si l'on veut bien se souvenir qu'il est comptable des dérives constatées sur le sujet depuis maintenant près d'une décennie ! Sarkozy apparaît bien comme un dinosaure de la politique, surfant sur de vieux concepts, qui n'ont au surplus aucune interaction sur les vrais problèmes que le pays rencontre et dont il est l'une des premières causes. C'est la vieille technique du joueur de bonneteau : agiter une main pour mieux masquer ce que fait l'autre.

Un homme d'Etat, Dominique de Villepin, s'inscrivait dans cette geste gaullienne d'une perspective pleinement orientée sur la poursuite inlassable de l'excellence, de l'intérêt général et de l'efficacité de la gestion des affaires publiques. Trop audacieux dans ses propositions, trop courageux dans ses interventions, trop précis dans son désir de "secouer le cocotier" d'une démocratie émolliente, l'homme et son projet n'ont pas eu le droit d'être invité à ce banquet républicain que l'on nomme "élection présidentielle". Un banquet où les mêmes se gobergeront, après avoir mitonné leur petite tambouille sur leurs petits réchauds, mais je sais bien à qui sera présenté l'addition in fine…

Il reste à réinventer, réaménager, refonder notre "logiciel" et nos référentiels politiques. Poursuivre dans cette chimérique séparation droite / gauche, c'est accroître le fossé qui se creuse entre le Peuple et ses mandataires. Le clivage s'opère désormais entre le mouvement et l'immobilisme, l'ouverture et le repli, le futur et le passé, le dynamisme et le déclin.